REPERCUSSIONS DE LA PANDEMIE DU COVID 19 ET EFFETS PROBABLES A LONG TERME SUR LES MENAGES RURAUX ACCOMPAGNES PAR LE BDD/L'SHI
- INTRODUCTION
Depuis le mois de Décembre 2019, le monde a appris la survenance, en Chine, d’une maladie apparentée à la grippe saisonnière. Les médias ont abondamment relayé la nouvelle et son évolution à travers le monde. Son extension et la rapidité de sa propagation ont fini par la faire déclarer, PANDEMIE du COVID 19.
Considérée au départ comme une maladie spécifique aux régions froides, la maladie a fini par atteindre la RD Congo et bien sûr la province du Haut-Katanga.
En guise de prévention et en réponse à l’effectivité de celle-ci dans la province, deux moments de confinement ont été décrétés. Au pays, des dispositions étaient déjà prises pour freiner la propagation exponentielle qui était prédite, au regard de l’indiscipline qui semble caractériser le comportement général de la population : bar, insouciance, promiscuité dans presque tous les domaines comme le transport en commun, l’habitat et autres.
Certaines directives ont été données pour davantage favoriser la prévention. Ces gestes barrières sont différemment vécus par les populations. Les écoles, les églises, les rencontres sportives, les café-bars et restaurants, les réunions-rencontres de masse ont été suspendues. Des restrictions d’accès dans les services et entreprises ont été instaurées. D’autres dispositions encore ont été prises dans le sens d’une plus grande prévention contre cette pandémie comme le lavage régulier des mains, le non contact direct dans la salutation, le port des masques, la prise régulière des températures etc.
Toutes ces dispositions ont eu et ont des répercussions sur la vie de chaque jour des ménages et la vie de l’ensemble de la communauté.
A travers les éléments qui suivent, le BDD Lubumbashi tente de présenter les perturbations qui s’en sont suivies et de montrer ce qui pourrait demeurer après le COVID 19. Bien évidemment, la période concernée reste très courte pour des conclusions fiables et pertinentes. Cette prétention est une perception très subjective basée sur quelques faits non généralisables et sur des données davantage qualitatives.
- IMPACTS ECONOMIQUE ET COMMERCIAL
Généralement, pendant la période de récolte (à partir du mois de Mars), les prix des produits agricoles amorcent une baisse. Suite à la pandémie de COVID-19 il a été constaté une hausse significative des prix des produits agricoles sur les marchés ; du simple au double. Les tableaux suivants illustrent cette évolution des prix :
a) Produits agricoles de base
N° |
Libellé |
Unités |
Avant Covid-19/ Avril 2019 (1$=1600 FC) |
Covid-19/ avril 2020 (1$=1710 FC) |
||
FC |
$ |
FC |
$ |
|||
01 |
Maïs |
1 seau = 2,5Kg |
1280 |
0.8 |
3000 |
1.75 |
02 |
Cossette de Manioc |
1 sac de 50 kg |
12000 |
7.5 |
38000 |
22.22 |
03 |
Haricot |
1 seau = 3 kg |
4500 |
2.8 |
9500 |
5.55 |
04 |
Patate douce |
1 sac de 50 kg |
30000 |
18.75 |
50.000 |
29.23 |
05 |
Feuilles de manioc |
1 botte |
200 |
0.125 |
750 |
0.44 |
b) Produits importés
N° |
Libellé |
Unités |
Avant Covid-19 / Avril 2019 (1$=1600 FC) |
Covid-19 /Avril 2020 (1$=1710 FC) |
||
FC |
$ |
FC |
$ |
|||
01 |
Farine de maïs |
1 sac de 25 kg |
32000 |
20 |
45000 |
26.30 |
02 |
Huile végétale |
5 litres |
16000 |
10 |
22500 |
13.16 |
03 |
Poisson chinchard |
1 kg |
2500 |
1.56 |
7500 |
4.39 |
c) Autres produits
N° |
Libellé |
Unités |
Avant Covid-19/ Avril 2019 (1$=1600 FC) |
Covid-19/ Avril 2020 (1$=1710 FC) |
||
FC |
$ |
FC |
$ |
|||
01 |
Charbon de bois |
1 sac de 40 kg |
18000 |
11.25 |
40000 |
23.39 |
02 |
Transport inter villes |
Lubumbashi-Likasi |
7000 |
4.37 |
14000 |
8.18 |
03 |
Gel anti bactérien |
Douzaine |
12000 |
7.5 |
42000 |
24.56 |
04 |
Savon anti bactérien |
Douzaine |
30000 |
18.75 |
42000 |
24.56 |
05 |
Lave-main complet |
1 pièce |
16000 |
10 |
60000 |
35 |
06 |
Cache nez |
1 carton de 50 pièces |
24000 |
15 |
171000 |
100 |
07 |
Gants chirurgicaux |
1 carton de 50 paires |
10000 |
6.25 |
75000 |
43.85 |
d) Taux de change
Avant Covid-19 en Avril 2019 |
Covid-19 en Avril 2020 |
1$ = 1600 FC |
1$ = 1710 FC (1800 FC au marché noir) |
Cette brusque augmentation des prix a affecté le pouvoir d’achat des ménages non seulement ceux urbains mais aussi ruraux. Par le fait même, ceux-ci ont commencé à vendre de manière précipitée leurs productions agricoles, non encore à maturité complète, entamant ainsi la capacité à générer ou disposer dans quelques mois, des revenus plus élevés. C’est une réelle situation de précarité qui s’observe auprès des populations agricoles.
En effet, l’on assiste à des récoltes précoces (plus de 50% à fin Avril) et à la multiplication des opérations de vente bord champs dans presque 50% des ménages des producteurs. Cette situation sera à la base de faibles volumes de production, une grande partie ayant été gaspillée suite à la psychose.
Ce comportement de précipitation n’a pas épargné les travailleurs des entreprises, les fonctionnaires ni même les animateurs du BDD qui ont dû se constituer des provisions alimentaires, à la hâte. Il faut noter que la majorité des entreprises ont mis en congé technique leur personnel ou ont adopté un travail en alternance de 30 jours des équipes.
Nombreuses familles ont perdu des revenus provenant du salaire ou des autres activités connexes comme la vente de boisons, les petits restaurants de rue, les points de vente à l’entrée des écoles etc.
A la frontière avec la Zambie, principale porte d’entrée des denrées alimentaires, des restrictions ont été imposées empêchant la circulation aisée des biens et services. Même les ruraux ont été touchés par les restrictions et les limitations qui ont un impact certain sur les revenus voire l’économie des ménages agricoles.
- IMPACT SOCIAL
A la suite de l’Etat d’urgence sanitaire du COVID-19 décrété sur l’étendue de la RDC, les écoles, les Eglises, les restaurants ont fermé leurs portes. Dans le même temps, certaines entreprises, suite aux mesures de confinement, ont adopté le service minimum et par conséquent mis les travailleurs en congé technique. Certaines autres ont carrément fermé, mettant en chômage leur personnel.
Face aux mesures restrictives arrêtées, il a été observé une réelle cacophonie. Dans le transport en commun, en ville, au village, ce sont les agents de sécurité qui opèrent avec des mesures coercitives pour faire respecter les consignes. Des perceptions d’argent sont fréquentes comme amendes transactionnelles. Il n’est pas rare de voir des affrontements entre jeunes motards, population marchande transfrontalière, les taximen, les vendeurs ambulants (marché pirate)… et les préposés des services étatiques. Ce désordre social renforce la méfiance des populations vis-à-vis des services étatiques.
La psychose caractérise aussi ce temps. Les populations sont dans l’incertitude du lendemain. En effet, l’information précise et fiable semble faire défaut. Dans la province et même au pays, les réseaux sociaux diffusent à longueur de journées des messages et témoignages confus des personnes supposées être atteintes du COVID 19. Des mesures de confinement auraient été prises sur la base des rumeurs dit-on. Une vraie cacophonie communicationnelle qui ne permet pas une lisibilité claire de la situation de contagion. Déjà, les populations sont méfiantes vis-à-vis des informations diffusées par les médias publics.
Avec l’augmentation brusque des prix et le chômage, la population rurale recourt en cette période, presque de manière anarchique, à la production du charbon de bois comme alternative de survie et mesure d’adaptation à la situation de crise alimentaire et des revenus. Ceci est à la base d’une pression encore plus accrue sur la ressource bois accélérant par le fait même, la déforestation des faibles massifs forestiers encore disponibles. Des programmes d’amélioration de la carbonisation, de promotion des foyers améliorés et de gestion des concessions forestières des communautés locales seront certainement à l’avant plan, sans oublier les nombreux conflits qui vont se renforcer, autour des terres.
Avec la fermeture des écoles, les enfants, dans le secteur rural se sont massivement investis dans le prélèvement des produits forestiers non ligneux (ramassage des chenilles, des fruits sauvages) et les carrières. La filière « produits forestiers non ligneux » est à analyser avec rigueur comme autre secteur de travail.
La perte d’emploi suite à la fermeture des écoles, des bars, des restaurants et d’autres activités a favorisé le développement des marchés aux champs et bord champs (multiplication des points de négoce non autorisés tout le long des routes de desserte agricole). Cette situation contribue à des récoltes précoces des produits agricoles. En plus, les jeunes déambulent à longueur de journée, ce qui favorise des comportements délinquants. Il y a un risque réel de voir augmenter le décrochage scolaire, les mariages précoces, la montée des maladies et infections sexuellement transmissibles (SIDA, et autres).
Les mesures de précaution prises par le Gouvernement ne sont pas facilement appliquées ni acceptées, faute d’accompagnement. C’est le cas des restrictions dans le transport en commun. Cette situation crée des conflits entre la population et les autorités dont le pouvoir semble s’effriter chaque jour qui passe.
Une tendance à l’exacerbation des antagonismes sociaux semble s’installer (vente des produits de première nécessité par affinité tribale, classe sociale, race, …).
La population congolaise vivant au jour le jour, la précarité se renforce dans cet environnement incertain et instable. En rural, le troc se renforce face à cette précarité et à la chute des revenus monétaires.
Les effets actuels ici déplorés touchent non seulement les populations urbaines, mais aussi celles rurales. En effet, la hausse généralisée des prix des produits agricoles sur le marché pousse les paysans à vendre tôt et toute leur récolte. A brève échéance, cela va entrainer une pénurie alimentaire chez les paysans. Ils auront par conséquent des difficultés à se constituer des stocks alimentaires. En plus, l’accroissement du nombre d’intermédiaires fait que ces derniers vont jusque dans les champs des producteurs agricoles, négocier le prix en défaveur des producteurs.
La rareté de devise sur le marché local a contribué à la dépréciation monétaire du Franc Congolais (Perte du pouvoir d’achat), à la hausse du prix des produits de première nécessité importés comme l’huile, le poisson, et autres biens pour les familles rurales.
La réduction des effectifs dans les entreprises qui ravitaillaient leurs agents en produits de première nécessité a contribué à l’augmentation de la demande.
La hausse de prix, la rareté des denrées alimentaires observées ont occasionné le vol dans les champs. Une autre raison à la base des récoltes précoces avec une incidence négative sur la disponibilité future et la qualité des semences.
Le retour des élèves dans leurs milieux périurbains ou ruraux respectifs occasionne une forte consommation alimentaire, déclarent les ménages. Pour y faire face, certains ménages ont diminué le nombre de repas ou restreint la solidarité entre les membres de famille. Dans ces conditions, le renforcement de la malnutrition est à craindre.
La réduction des visites, la suppression ou interdiction des gestes de convivialité dans les salutations, sont encore mal perçues par les populations rurales. Sur le plan des relations avec les producteurs agricoles ruraux, un fossé semble s’installer car, la suspension des activités de masse réduit les contacts et la cohésion sociale. Il devra être pensé de nouveaux modes de communication et de travail prenant en compte ce souhait de fraternité, de solidarité et la nécessité d’une réelle prévention afin de limiter la tendance ou l’impression d’isolement.
Dans les pratiques de prévention, il a été recommandé le lavage régulier des mains. En rural, les populations trouvent cette mesure difficile à appliquer car, l’accès à l’eau est difficile et la tâche est principalement réservée à la femme et aux enfants filles surtout. Cette surcharge est mal vécue par les ménages qui considèrent qu’il est important de travailler sur cet aspect afin de rendre l’eau disponible et à faible distance.
L’insécurité est récurrente dans les villes, depuis près de trois ans. Une chose nouvelle est la demande des voleurs qui agressent les ménages. En effet, il est de plus en plus déclaré par les familles victimes que les agresseurs emportent les vivres parmi les biens volés. Les ménages ont donc peur d’entrer des vivres dans les maisons au grand jour. Ceci sera à la longue une menace sur les stocks dans les dépôts installés dans les villages.
IV. PERSPECTIVES (ACTIONS EVENTUELLES)
4.1. Aspects santé
- Former le personnel et les partenaires communautaires sur les aspects safety y compris les mesures de prévention contre le COVID 19. Pour ce faire, il pourrait être envisagé de collaborer avec un expert en santé publique ;
- Equiper les bureaux et le personnel en kit de prévention au COVID-19 et mettre à disposition les thermo flash ;
- Renforcer l’accès des populations rurales accompagnées à l’eau potable, dans les villages et poursuivre la diffusion progressive des dispositifs de lavage des mains et des masques ;
- Renforcer et étendre aux populations rurales accompagnées, les programmes de prévention contre les maladies et infections sexuellement transmissibles ;
4.2. Aspects Prévention et autres
- Sensibiliser les populations sur la réalité de l’existence de la maladie et la nécessité des mesures de protection contre le COVID-19 ;
- Sensibiliser sur la sécurité alimentaire pour faire face à la pénurie pendant la pandémie du COVID-19, en mettant l’accent sur la transformation locale par exemple, des produits agricoles locaux. Dans ce même cadre aussi, une stratégie de renforcement de la production et de commercialisation est nécessaire (greniers villageois, magasins villageois etc.) avec option de prise en compte de la sécurité des personnes et des biens comme cela a pu s’observer au Madagascar où les paysans construisent leur habitation en étage mais sans escalier (échelle) ;
- Collaborer avec des institutions spécialisées en vue d’élaborer des standards et manières de procéder avec les populations rurales dans le secteur de développement rural. En effet, les comportements vont certainement changer. Une redéfinition des méthodes d’animation sur la base d’études anthropologiques et sociologiques est nécessaire ;
- Introduire ou renforcer certains thèmes pertinents comme : la carbonisation rentable, l’utilisation des foyers améliorés, la gestion des Concessions des forêts des communautés locales, les produits forestiers non ligneux etc.
- Former le personnel au télétravail et introduire progressivement l’utilisation de l’ordinateur et des nouvelles technologies de communication dans le secteur rural. Concomitamment, développer des programmes d’électrification rurale avec les technologies du solaire (lampe solaire, panneaux solaires etc.) et les intégrer dans le paquet de l’éco-construction ;
- Former le personnel dans le domaine de l’évaluation des situations humanitaires et envisager une intervention humanitaire ponctuelle en semences de qualité et programme de multiplication des semences. Dans ce même ordre d’idées, intensifier les cultures de cycle court et s’intéresser à la pauvreté alimentaire urbaine avec des programmes similaires (cultures de cycle court).
V. EXPERTISE LOCALE ET ACTEURS LOCAUX MOBILISABLES
- Division de la Santé Publique ;
- BDOM
- Clusters sécurité alimentaire ;
- Université de Lubumbashi, Instituts d’enseignement supérieur, Observatoires des changements urbains et des ressources naturelles ;
- INERA
- Inspection provinciale de l’Agriculture Pêche et Elevage ;
- Division du Plans, du Développement Rural et autres ;
- Les leaders locaux dans les villages (chefs de villages, chefs de terre, chefs de quartiers…) dans la sensibilisation et mobilisation.
VI. GROUPES LES PLUS AFFECTES
- Par rapport aux milieux :
Les milieux ruraux sont les plus affectés par rapport au milieu urbain en termes d’approvisionnement en biens et produits de première nécessité, d’information sur la pandémie de COVID-19, d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à la technologie de communication et à l’informatique.
En plus, les ménages de plus de 10 personnes, ceux ayant une seule activité (culture) et, les enfants et les femmes sont les plus affectés par la surcharge des corvées d’eau, cuisine et autres activités liées à la survie.
La perte de pouvoir d’achat, des revenus et de la capacité de bien s’alimenter dans un proche avenir affecte particulièrement les ménages agricoles qui en plus, ont connu un choc dû à la perturbation des pluies et de la chenille légionnaire.
- Par rapport au revenu mensuel
Les non salariés, les familles ayant une faible diversité d’activités génératrices de revenus, ceux préjudiciés par une situation structurelle de vie pénible et les familles ayant perdu de l’emploi ou connu une restriction d’emploi sont principalement affectés par la perte des revenus. Les familles rurales sont à brève échéance guettées par cette perte des revenus due à la vente précoce des produits agricoles, à la mobilité limitée des biens et services et donc, par la perte des capacités à disposer des stocks matelas.
Les ménages les moins instruits semblent vivre comme si la pandémie ne les concernait pas. Tout est remis entre les mains de Dieu. Les enfants de ces ménages n’ont pas accès à l’eau, à l’électricité, à l’ordinateur, à internet, à l’information etc.
Fait à Lubumbashi le 11 Mai 2020
BDD Lubumbashi (Equipe)